24/12/2013

Éditorial: "Soyons dignes du moment que nous vivons"

5 min

1. Une décision historique

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Hier, les leaders politiques qui ont accordé ensemble de soumettre aux citoyens de Catalogne et de transmettre au gouvernement d'Espagne – une question et une date pour se prononcer sur le futur politique du pays ont commencé à écrire un nouveau chapitre de l'histoire collective. Un chapitre dont l'objectif partagé et primordial est de permettre que la population vote librement, de faire que le droit à décider, une demande nourrie d'un très large consensus social, soit une réalité. Dorénavant, la date du 12 décembre sera celle de la pose de la première pierre d'un processus politique du catalanisme qui renonce à son vieil objectif de changer l'Espagne et s'engage dans la construction de son propre État.

2. En faveur de la démocratie

Le pacte conclu sur la question à soumettre est, pour la démocratie catalane qui avait lancé un message limpide, un véritable point de départ. La Catalogne se présente au monde comme une société pleine de vitalité, mûre, mobilisée et dotée d'une classe politique capable d'interpréter les signes des temps. Quiconque entreprenne d'analyser le déroulement des évènements de ces deux dernières années devra conclure qu'il s'agit d'un processus impeccablement démocratique. En septembre 2012, la société civile et le blocage de Madrid face aux aspirations catalanes ont entraîné la convocation d'élections anticipées dont le résultat a été une mission claire pour le nouveau Parlement : mettez-vous d'accord afin que l'objectif de décider le futur soit possible. Quelque soit le regard que l'on y porte, nous nous trouvons avant tout face au triomphe de la démocratie.

3. Un leadership partagé

La société civile a été et reste le moteur du processus politique catalan, le ciment qui a réuni des volontés très diverses sur un chemin aussi escarpé que passionnant. Un chemin qui serait impossible de concrétiser et d'entreprendre sans un leadership politique. L'image projetée hier par le président Artur Mas, aux côtés des leaders des partis ERC, UDC, CDC, ICV-EUiA et CUP, a mis en évidence que la classe politique catalane est capable de construire un consensus et de la cohésion. En quarante-huit heures, face à un début de découragement et une certaine désorientation des partisans du droit à décider, des forces politiques recouvrant toutes les idéologies politiques, de la démocratie chrétienne à la gauche alternative, ont conclu un accord. C'est une grande leçon. Chaque parti a fait des concessions en vue d'un objectif commun et d'un leadership partagé avec tous les mouvements civiques. Si les classes dirigeantes (politiques, économiques et sociales) avaient été, durant la transition de la dictature à la démocratie, à la hauteur du moment historique, à l'heure actuelle les leaders catalans ont démontré à leur tour avoir compris qu'il faut cheminer ensemble et généreusement vers la construction d'une transition nationale. De même, il faut que tous les autres acteurs en prennent note et agissent, eux aussi, avec la dignité que requiert l'immense enjeu qui est devant nous.

4. Une question claire et agglutinante

Fruit de ce leadership partagé, la question qui a été adoptée hier – claire, agglutinante et avalisée par un large consensus – a déjà reçu le soutien des principales plateformes civiques qui ont impulsé le droit à décider. La question, dédoublée en deux – « 'Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? Oui / Non' sera la première question. Et si la réponse est "oui", 'Voulez-vous que cet État soit indépendant ? Oui / Non' sera la deuxième » – a permis de rassembler les partis ayant un programme clairement indépendantiste et ceux qui croient qu'il est nécessaire de construire un État, mais qui ne renoncent pas à le fédérer ou le confédérer avec l'État espagnol. En définitive, cette question a permis d'agglutiner tous ceux qui croient au droit des Catalan à décider leur futur.

5. Des absences difficiles à expliquer

Dans le cadre de cette large unité politique et du leadership politique partagé, qui ont rendu possible l'accord autour de la question à soumettre, on ne peut que regretter l'absence du Parti socialiste de Catalogne (PSC) qui, depuis l'instauration de la démocratie, faisait partie du catalanisme, ce grand tronc politique commun ayant œuvré pendant plus d'un siècle à la construction d'une société démocratique et moderne, dans le but d'apporter au concert des nations ses particularités. L'absence volontaire du PSC au pacte scellé hier est très regrettable et, en même temps, difficilement compréhensible pour un grand nombre de ses votants, militants et sympathisants qui, pour se joindre aux battements démocratiques du pays, seront obligés de prendre une décision difficile mais inévitable.

6. Le bloc du non-non

Le bloc du non, représenté politiquement par le Parti populaire (PP) et Ciutadans (C's), a salué hier l'accord en rejetant la question et la date de la consultation avec le discours de la peur et la disqualification. L'enjeu de la consultation étant le oui ou le non, il serait important et souhaitable que le PSC, PP et C's, au lieu de s'appliquer à bloquer la consultation, consacrent leurs efforts à expliquer et à argumenter les raisons qui motivent leur combat en faveur de la permanence de la Catalogne au sein de l'Espagne, une option parfaitement légitime. Car, en effet, ce qui n'est pas légitime du tout est la négation de la démocratie. L'exercice du droit de vote, dans le cas présent largement réclamé par la population, ne devrait effrayer personne.

7. La réponse du gouvernement espagnol

Ce pas en avant réalisé hier par une majorité de 87 députés sur les 135 qui composent le Parlement de Catalogne a renvoyé la balle dans le camp du gouvernement espagnol, destinataire de la demande d'acceptation du référendum, et de sa classe politique dans son ensemble. La demande arrive avec un très large soutien, respectant toutes les formes et construite sur une volonté scrupuleusement démocratique. Opposer un refus radical à la proposition catalane délégitime le gouvernement espagnol autant aux yeux de la population catalane qu'aux yeux de la population européenne et du monde entier. Se murer dans une interprétation restrictive de la légalité ne résoudra pas le problème. Il existe des voies légales pour que la Catalogne puisse exercer le droit à décider. Contrairement à leurs affirmations, les lois sont au service des gens, pas l'inverse.

8. Le défi européen

Le futur de la Catalogne est au sein de l'Europe, quel que soit le résultat de la consultation et quel que soit le déroulement de la procédure. La même majorité qui défend le droit à décider défend également l'appartenance à l'Union européenne. Cette dernière s'est maintenue jusqu'à présent dans une respectueuse neutralité vis-à-vis du procès catalan. La Catalogne veut décider si elle devient un État d'Europe et, le moment venu, l'Europe (UE) devra décider si elle souhaite qu'une société de longue tradition européiste en fasse partie en tant que nouvel État. Ici aussi il y a certainement beaucoup de travail à faire.

9. Rien ne sera facile

À partir de maintenant, que la date et la question de la consultation ont été fixées, rien ne sera facile : ni les négociations avec l'État espagnol, ni l'explication de la volonté catalane en Europe et dans le reste du monde, ni le maintien de la cohésion sociale – notre grand trésor, pour le processus aussi –, ni la préparation et l'exécution de la procédure qui commence. Comme le président Artur Mas l'a dit hier dans son discours, il faudra avoir tout au long de la procédure un grand « sens de pays », autant qu'en ont montré les partis du pacte qui signent son point de départ.

10. Dignité et générosité

Le chapitre historique dans lequel nous nous engageons exige rigueur, concentration, détermination et générosité. Il requiert surtout de nous tous – peuple de Catalogne, dirigeants et société dans son ensemble – que nous soyons à la hauteur et nous montrions dignes du moment que nous vivons. #Maintenant nous voulons voter

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