FRANCE / LE MONDE
Efímers 14/09/2013

Une chaîne humaine de 400 km pour une Catalogne indépendante

Sandrine Morel
3 min

Quand ils ont su qu'il manquait du monde dans la région du delta de l'Ebre pour compléter la chaîne humaine qui devait, mercredi 11 septembre, traverser du nord au sud toute la Catalogne, ils n'ont pas hésité un instant. Pour que la Via Catalana, la Voie catalane vers l'indépendance, soit un succès et qu'aucun maillon du parcours, long de 400 km, ne manque, des centaines de Catalans ont posé des jours de congé et pris leur voiture pour faire 100, 200, parfois 300 km vers la pointe sud de la Catalogne.

«Pour accélérer le processus de sécession, il est fondamental que le monde entier comprenne et voie que la Catalogne souhaite être indépendante», note Xavi Puig, un Catalan de 38 ans qui a fait 275 km avec sa femme enceinte de 7 mois et son fils de 4 ans depuis Torello, au nord, pour se rendre à Alcanar, la dernière ville du sud avant la Communauté valencienne.

La manifestation organisée pour la Diada, la fête de la Catalogne, se veut une nouvelle démonstration de force des indépendantistes, après celle de 2012 qui avait rassemblé près d'un million de personnes à Barcelone. L'Assemblée nationale catalane (ANC), puissante association en faveur de l'indépendance, a cette fois décidé de prendre exemple sur la « voie balte », une grande chaîne humaine de 600 km qui avait rassemblé près de 2 millions d'Estoniens, de Lettons et de Lituaniens réclamant leur séparation de l'URSS en août 1989. « Nous espérons que le résultat sera aussi positif pour nous », affirme Jaume Marfany, vice-président de l'ANC, qui ne craint pas de comparer le joug soviétique au système espagnol décentralisé.

Forts de l'expérience de 2012, qui avait conduit Artur Mas à convoquer des élections anticipées et à annoncer un référendum d'autodétermination en 2014, les indépendantistes sont convaincus qu'en sortant massivement dans la rue, ils vaincront les dernières réticences du président du gouvernement catalan. «Nous avons appris l'an dernier que quand on veut, on peut : les politiques nous écoutent et agissent en conséquence», résume Cristina Gutierrez, une militante.

Si le gouvernement central s'oppose à donner un cadre légal à la consultation de 2014, M. Mas a prévenu qu'il convoquerait en 2016 des élections régionales à valeur de plébiscite sur la sécession. «Trop tard», répondent les indépendantistes. «La Catalogne ne peut tenir davantage, elle est arrivée à une limite, économiquement», insiste M. Marfany, reprenant l'argument selon lequel l'Espagne pille les ressources de la Catalogne.

Mais le risque est surtout de voir le mouvement s'essouffler. Surtout si la reprise économique se confirme. Comme en convient le député de la Gauche républicaine indépendantiste catalane (ERC) Alfred Bosch, «la crise n'est pas le moteur de l'indépendantisme, mais il en est un puissant carburant». Selon le Centre d'étude d'opinion catalan, 47 % des Catalans sont favorables à l'indépendance, contre moins de 25 % il y a trois ans.

C'est sur cette vague que surfe M. Mas. Au risque d'être emporté. En un an, son parti, Convergence démocratique de Catalogne, a perdu onze sièges au Parlement, et a dû nouer un pacte avec ERC, qui apparaît aujourd'hui favori dans certains sondages. Il a perdu le soutien des grandes entreprises, qui lui ont dit tout le mal qu'elles pensent de l'indépendance, alors que la moitié des exportations catalanes ont pour destination le reste de l'Espagne. «Je n'ai pas confiance en Artur Mas, assure ainsi Joan Hernandez, 48 ans, venu de Vilafranca del Penedès. Il appartient à la bourgeoisie de droite et si Madrid fait des concessions sur le plan économique, il abandonnera l'indépendance.»

Après avoir envoyé une lettre en juillet à Mariano Rajoy, proposant cinq scénarios pour organiser un référendum en 2014, Artur Mas s'est réuni en secret avec le chef du gouvernement espagnol fin août. En coulisse, les négociations ont débuté. La Catalogne a déjà obtenu que Madrid fixe un objectif de déficit public asymétrique selon les régions, qui lui a bénéficié. Le gouvernement central doit rénover le système de financement des autonomies en 2014 et pourrait lui offrir de payer moins pour la solidarité avec les autres régions.

M. Mas pourrait alors transformer le référendum sur l'indépendance en une simple consultation populaire à choix multiple sur les différentes formes d'Etat possibles. Mais en public, il maintient un discours exalté, allant jusqu'à comparer la lutte pour l'indépendance avec celle de Martin Luther King pour les droits des Afro-Américains. Des propos qui plaisent. Carlos Bernet, employé dans le secteur électrique, et Andreu Roig, dans la construction, deux des 30 000 volontaires que compte l'ANC, soulignent qu'«au début, cela a été difficile de mobiliser les gens, mais ces derniers jours, notre bureau est toujours plein: ils ont compris que mercredi est un grand jour dans notre histoire».

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